Salsabil kelibi: 'Les carences du système bicaméral tunisien'
Invitée de Midi Show de ce vendredi 13 décembre 2022, la présidente de l'Association tunisienne de droit constitutionnel et professeure de droit constitutionnel, Salsabil Kelibi, a indiqué que la Constitution de juillet 2022 a instauré une fonction législative bicamérale, composée de l'Assemblée des représentants du peuple et du Conseil des régions et des districts. "Ce système parlementaire avait déjà été observé en Tunisie avant la révolution, lors de la révision de la Constitution de 1956 avec la création de la Chambre des conseillers en 2002", a-t-elle ajouté, précisant que les deux expériences diffèrent, en termes de structure des conseils et de leurs philosophies.
Elle a souligné qu'en 2002, la représentation de la Chambre des conseillers était régionale, émanant des conseils régionaux, et sectorielle, à travers les représentants de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), de l'UTICA (l'organisation patronale et de l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche, ainsi que des personnalités de l'intelligentsia, choisies par le président de la République.
Kelibi a expliqué que ses compétences étaient limitées par rapport à celles de la Chambre des députés, ajoutant qu'en comparaison avec d'autres expériences, les deux chambres sont asymétriques, tant en termes de taille (nombre de députés) que de base démographique.
Elle a, également, noté que les compétences du Conseil des régions et des districts sont, elles aussi, extrêmement limitées, bien que l'article 56 de la Constitution stipule que la fonction législative est composée de deux Chambres. Toutefois, en examinant les détails, on constate de grandes disparités, selon ses déclarations.
Elle a ainsi indiqué que les compétences liées à la participation à la fonction législative se limitent aux questions de développement, un rôle dans le cadre de la contribution du Conseil des régions et des districts à la définition des orientations de développement et à l'approbation des accords internationaux ayant un impact sur les ressources nationales.
Parmi ses compétences, on trouve aussi l'approbation de la loi de finances et du budget, en raison de leur lien avec les questions de développement régional.
Cependant, le Conseil des régions et des districts ne dispose pas de la compétence d'initiative législative, comme il est absent des révisions constitutionnelles.
Kélibi a commenté à ce sujet : "Il est frappant qu'en dépit de l'absence de droit d'initiative législative, il a le droit de saisir la Cour constitutionnelle sur les projets de loi".
Elle a ajouté : "Nous anticipons ici des conflits potentiels entre les deux chambres, où le Conseil des régions et des districts pourrait tenter d'entraver un projet législatif qu'il ne juge pas favorable pour le pays".
L'invitée de "Midi Show" a souligné que plus de 80 pays dans le monde ont un parlement bicaméral, et que parmi les raisons qui justifient cette structure, c'est qu'elle offre une représentation plus précise et diversifiée et permet une meilleure délibération des projets de loi, en les examinant dans deux cadres différents.
L'expérience récente avec la loi de finances et, à l'instar d'autres pays ayant opté pour le système bicaméral, montre qu'à un moment donné, il faut trancher en cas de différend entre les deux chambres concernant une loi, et dans la plupart des cas, la décision revient à la première chambre (la chambre basse, en l'occurrence ľARP) si le blocage persiste.
"C'est là que réside le déséquilibre dans la relation entre les deux chambres, avec la prévalence d'une sur l'autre après que toutes les procédures prévues ont été suivies", a encore dit Kélibi.
Et de continuer : "finalement, le texte de la loi est dirigé dans la version adoptée par l'Assemblée des représentants du peuple et le président de la République peut exercer son droit de veto et renvoyer la loi sans la promulguer".
Kelibi a estimé que le décret régissant la relation entre les deux chambres a pris du retard et que les deux Chambres auraient pu travailler plus sereinement, s'il avait été publié avant que chacune d'elles n'adopte son propre règlement intérieur.
Elle a conclu qu'il était nécessaire de réviser les règlements intérieurs pour les harmoniser avec le décret régissant la relation entre les deux Chambres.